Entendu à la radio tout à l'heure, c'est connu ( Hallélujah de Léonard Cohen) .... mais j'ai pas pu m'empêcher !
Mon grand père maternel était un taiseux .....
Pourquoi ma grand mère bavarde, sociable, aimant faire la fête, se déguiser, danser, préparer un repas de famille, dire des âneries, pousser sa chansonnette .....s' était elle entichée d'un homme rustre au regard sévère , parlant peu, ne laissant pas filtrer une once de sentiments ???...
(Flûte alors, je devrais me mettre à la psycho généalogie pour y voir clair !
... c'est incroyable comme des situations du passé se renouvellent des générations plus tard, sans que la transmission ait été faite de façon consciente et explicite.... par le plus pur des hasards ....hum ??!!!).
C'est lorsqu'il est devenu grand père qu'on a commencé à voir apparaître des signes d'affection, un don pour les histoires, un soupçon de tendresse et beaucoup d'humour "vache" dans ses gestes farceurs.
Quand j'étais en vacances, calée contre sa chaise, il aimait me coincer les doigts entre les siens.
La pince qu'il serrait entre son pouce et son index, semblait indéfectible et mon doigt prisonnier, se débattant, ne parvenait pas à se libérer, déclenchant un sourire radieux sur le visage du grand père.
Je hurlais de douleur, mais aussitôt libérée, je retournais avec plaisir me faire coincer les doigts en cherchant des astuces pour détourner le piège.
Je suçais mon doigt pour qu'il glisse, je le trempais dans l'eau, ou je le passais sur le beurre du petit déjeuner, la grand mère râlant que ce n'était pas propre !
Il avait encrée au fond de lui, cette dureté emmagasinée à la guerre, qu'il contenait et distillait la plupart du temps dans son silence, mais aussi dans ses farces au soupçon de sadisme.
Un jour que ma grand mère faisait des confitures, mon frère aîné tournait tel la guêpe gourmande, autour des pots tout chauds, trempant son doigt dans le nectar de Reines Claude.
Un curieux manège s'instaurait entre mon frère et le grand père, dans un échange de regards malicieux.
Mon frère trempait le doigt, le grand père guettait et puis soudainement, il tapait sur la main, au moment où le doigt pénétrait dans le pot.
Surpris pour la première fois, mon frère rit jaune, se léchant tous les doigts, puis trouvant le défi amusant renouvela l'expérience en essayant d'être plus rapide que le grand père.
Mais le jeu perdant de son intérêt, le grand père suggéra à mon frère de sentir la confiture.
Mon frère eût un doute.... puis, trop tenté de titiller le grand père à son propre jeu, il butina au dessus de tous les pots de confiture, se hâtant de relever le nez, avant l'arrivée de la main du grand père, riant d'un air narquois.
Le grand père fit mine de se lasser, octroyant toute confiance à mon frère.
C'est alors qu'assisse à côté d'eux, regardant leur manège d'un oeil assez distrait, j'entendis s'abattre à grand bruit la main de mon grand père sur la tête à mon frère qui plongea le visage en entier dans le pot encore tiède.
Je n'ai su à cet instant si je devais rire ou pleurer, mon frère relevant un visage englué, les peaux de reines claude lui tombant des narines, retenant sa respiration, le regard quelque peu paniqué.
Je crois qu'à cet instant, j'ai détesté le grand père qui riait dans ses larmes et j'ai craint une minute, la mort de mon grand frère étouffé dans sa confiture.
Un autre jour c'est moi qui fit les frais de son humour taquin,alors qu'on s'étendait sur la bâche grise pour la sieste, à l'ombre des châtaigniers.
Il répondait à mes questions au compte gouttes, ou mâchait sa brindille, le sourire en coin, ou racontait des histoires brodées à sa façon, puis me tendait la gourde pour rafraîchir nos gorges.
Il se mit alors à me parler des abeilles, des ruches et du miel, puis me suggéra un jeu : il allait faire l'abeille butineuse qui récolte le pollen et moi, j'allais faire le bourdon qui lui demande du miel.
Ok !...on y va !
....mais tu me le demandes trois fois parce que je voudrais pas t'en donner !
ben d'accord.
Alors je fais le bourdon, autour de la bâche, je vole, tournoie, zonzonne ( ça existe ??....crois pas !!) et m'approche du grand père en lui récitant par trois fois la phrase magique :
abeille donne moi de ton miel !... 1 fois !
un peu plus fort : abeille donne moi de ton miel !...2 fois !
Le regard insistant et le ton au plus haut : abeille donne moi de ton miel !!!!...3 fois
Et là, le grand père, gonflant ses joues, me projette en pleine figure, une énorme bouchée d'eau qu'il s'était ingurgitée en cachette pendant que je bourdonnais.
Sans commentaire !!
Quelques années plus tard, les grands parents vinrent passer l'hiver à la maison.
Le grand père bourré d'arthrose avait grand peine à marcher et devait utiliser une canne. Il avait pour habitude la balade quotidienne qui s'avéra être le chemin de l'école.
Tous les soirs à 16h30, il m'attendait à la sortie de l'école avec sa boite de réglisse (les pètes de rat , comme il disait) ou ses Valda, il en offrait à mes copines, et nous voilà partis pour la maison.
Sur le retour, on jouait à cache cache.
Bon ! c'était pour faire plaisir au grand père, parce que vu comme il se déplaçait, il faisait pas le poids !!! mais je me prêtais au jeu volontiers et à la nuit tombée, ça donnait un petit air de frisson.
Un jour il me fit compter lentement jusqu'à cent, parce qu'il avait besoin de temps pour se cacher. Au bord de la voix ferrée se trouvaient des parcelles de jardins déserts, des buissons, des arbustes et quand je voulu le chercher...je ne l'ai pas trouvé.
J'ai couru tout autour, craignant qu'il soit perdu, j'ai regardé devant ????....des fois que par miracle, il aurait pu courir ??? !!!!... j'ai commencé à prendre peur, appelé, supplié et quand découragée, les larmes ont surgi, j'ai entendu son rire de sorcier sortir de derrière un taillis, il était là, allongé par terre sur la terre humide, ricanant, jubilant de m'avoir effrayée.
J'ai essuyé mes larmes, non sans être quelque peu en colère, mais j'ai eu ma revanche quelques minutes après, quand il a tenté de se remettre debout !....ah! ah !...
(Oh, je l'ai pas dit, mais je l'ai bien pensé ....si maintenant je te laissais là hein ???)
Alors m'arque-boutant en lui tendant les mains, je l'ai tiré, tiré et aidé de sa canne, il a pu retrouver la position debout, jurant mais un peu tard qu'on ne l'y prendrait plus !!
Le grand père n'est plus, mais je revois encore ses yeux plissés de malice, son sourire édenté, sa mêche soigneusement coiffée sur son crâne dégarni, ses mains rudes brunes et crochues et je voudrais encore qu'il me donne son miel, et ses pètes de rat.
Ce matin, je suis allée
apprendre mon texte de théâtre dans mon décor favori.
Je peux déclamer à haute voix... personne (ou si peu !) pour me contrarier et les arbres s'étaient costumés en mon honneur !
C' est pas beau ??