Il était un beau jour d'Avril.... je flânais dans les allées de la ville antique.

Peu de monde malgré midi qui venait de sonner. Quelques uns se dirigeaient vers un snack, d'autres se rangeaient devant une boulangerie examinant la vitrine aux sandwichs en attendant leur tour.

La tête dans les nuages, je profitais lentement de la douceur du temps, rien ne pressait, pas même la faim.... quand, surgi de nulle part, une barquette de crudités et quelques frites dans une main, un verre en carton rempli dans l'autre, je vis fondre sur moi un jeune homme.

Presque deux mètres, la vingtaine, les cheveux blonds bouclés, le regard clair...

angélique !

En me montrant ses victuailles, il me demande si je ne connais pas un endroit sympa pour casser la croûte...

J'ai dû prendre un air étonné, ne sachant ce qu'il entendait par "sympa", quelques bancs vides se faisaient face au soleil sur les allées quasi désertes, ne les avait-il pas vus ?

C'est alors qu'il a bredouillé... euh oui, avec des bancs... et de L'HERBE !

J'ai souri sans retenue, son regard s'est éclairé.

... euh... de l'herbe ? tout y était sauf l'herbe.

Il m'a indiqué le fond des allées devant la gare d'où je venais pour savoir si... j'ai fait la moue et lui ai dit "non, là bas c'est pire et la circulation est en plus !"

On s'est regardés en haussant les épaules, le sourire navré et chacun a poursuivi son chemin.

Je ne sais pas pourquoi, mais cette apparition a illuminé ma journée.

Déformation professionnelle oblige, j'aime observer détailler analyser le comportement des gens qui ne me sont pas indifférents.... à moins que ce soit le contraire, ma propension à.... m'a conduite à cette profession, peu importe vous vous en battez l’œil.

Mon voisin Momo, baptisé sans l'avoir choisi comme bon nombre durant cette ère, les précédentes et peut être encore bien plus les futures, avait suivi le chemin en bon chrétien qu'il devait être, fidèle par éducation aux valeurs de sa culture :  l'église, l'état,  la famille.

"Les valeurs, il en a fallu, il en faut et il en faudra pour que le "bon"ordre subsiste sur cette planète de chiffonniers !..."

Seulement voilà, trop de valeurs scandées sur des tympans encore fragiles, trop d'adjonctions assénées d'autorité sans une once d'écoute et de tendresse, trop de rigidité sans marque d'affection ont pu modifier génétiquement l'embryon de bon chrétien qu'il aurait dû être.

Il est resté chrétien à sa manière pour donner le change ou prolonger le chemin sur lequel l'ont placé ses maîtres qu'il vénère malgré les humiliations et l'isolement, mais meurtri dans ses fondations, sa chrétienté aux autres n'est qu'un chaos d'humeurs au gré de ses conflits internes.

Momo séduit et donne de sa personne pour être reconnu et apprécié loiiiiiiiiiiiinnnnn de ceux qui de près ravivent ses blessures de jeunesse.

Il essaie de régler les comptes qu'il n'a pas pu tenir et ne sait toujours pas, il s'emporte prématurément dans une critique disproportionnée du comportement des gens qu'il jalouse, prend les discours ou les suggestions d'autrui comme un ordre et les vit comme une agression ou se terre sans réponse pour se protéger d'une prétendue attaque qui n'a pas eu lieu. Il fouille dans le passé des objets qu'il grappille comme pour récupérer matériellement un dû qu'il n'a pas perçu en son temps et combler un vide inavouable d'un tout autre ordre.

Comme si des "je prends" pouvaient remplacer des "je t'aime"

Momo, si c'était pas qu'il gâche tout et que selon le principe qu'il instaure, on a envie de le tenir à distance pour avoir la paix et le laisser se battre contre ses fantômes... il me fait de la peine.

LA PAIX... Momo pourra-t-il un jour la trouver ??... en lui d'abord puis avec ses autres, avant que les regrets prennent la place de ses manques ?

On me reproche souvent de vouloir changer ce qui n'est pas, de me battre contre l'évidence, de vouloir mettre le monde à ma mesure mais je crois qu'on se trompe, parce que je m'ennuie vite fait avec moi même et me trouve rapidement insupportable, je préfère que les autres soient autres et qu'on puisse collaborer au mieux.

Non, je crois que c'est avant tout l'espoir qui fait que je m'obstine à croire qu'on peut tous par un déclic un sursaut une opportunité une réflexion, changer et aller mieux mais comme le dit Nico mon concierge, toi tu vis dans un monde de Bisounours...

Arrivé plus tôt ce soir là, il mit le couvert, réchauffa la soupe et la servit dans les deux assiettes.

-- Je ne veux pas de soupe ce soir lui dit-elle en la reversant dans la marmite.

-- J'sais pas moi !... je croyais que tu... d'habitude tu...

-- J'adore la soupe l'hiver... mais ce soir je n'en veux pas, merci.

-- Je pensais que tu...

-- Une toute petite question sans prétention émanant de ta bouche aurait suffi à dissiper ton doute, n'est-il pas ?... tu as pensé à ma place. Ce soir c'est moi qui pense.

Il la regarda sans comprendre.

" A la fin du repas il prit la coupe et en te rendant grâce..." (intérieurement), il posa sans un mot un yaourt nature à côté de son assiette à elle, immédiatement suivi par la boite verseuse en carton de sucre en poudre.

-- Merci mais je préfère de la confiture ce soir, lui dit-elle

--...!?... euh... d'habitude...

-- D'habitude !!!!!

    ... sauf erreur de ma part, je ne suis pas formatée pour manger mon yaourt avec du sucre à vie !! ... je le préfère parfois sans sucre ou avec de la confiture... des fois même sans yaourt, suffit de me demander.

--....!!!???? (si c'est ça !!?)

Elle poursuivit :

--... de même que je ne ménage pas forcément le vendredi, je ne vais pas au marché tous les mardi, même si c'est le jour et parce que c'est le jour. J'y vais si j'ai besoin, si j'ai envie...  pourquoi je ne ferais mes emplettes qu'au marché du village le mardi alors que j'ai envie d'aller sans prévis voir ailleurs le jeudi (pas le mercredi, c'est plein de gones mal éduqués dans les rayons) ???... je hais les habitudes !! ... rebellion penses-tu ???... que non !! : 

- as-phy-xie - !!

-- .....???? (si tu le dis !)

Il posa le regard dans son assiette et son bout de fromage sur son morceau de pain, acheva son repas, comme à son habitude.